
Ce scintillement – cet Autre dans le Même – cette transcendance – cet éveil du Même par l’Autre – ce pointillisme de la lumière, aiguë par ce scintillement – n’est-il pas l’ ineffable où une parole déchirant les oreilles se tait au sein même du propos qu’on entend ?
Emmanuel Levinas
La spécificité de la photographie trouve sa source dans l’extériorité. Elle se révèle maladroite, voire impuissante, à exprimer quelque chose de la singularité d’une personne, à révéler l’atmosphère d’une ville ou à dépasser les apparences d’un objet. Cet échec corrélatif du médium pourrait être sa chance, car que deviendrait l’objet – ou le sujet photographié – si la photographie était un moyen de s’en saisir et de s’emparer de lui ? Comment penser ce qui est photographié, dans sa différence, si la photographie le ramenait au même, c’est-à-dire à soi et à l’identique ? Qu’adviendrait-il enfin de l’extérieur si ce dernier n’était qu’un prétexte à la réalisation d’une photographie de soi-même ?
Si le médium photographique peut s’avérer efficace à combler un désir de connaissance, s’il est apparemment possible, avec lui, de s’affranchir de la distance qui sépare le photographe du monde, l’extériorité fait surgir l’infranchissable et ce qui est irrémédiablement insaisissable au cœur de la photographie. Elle introduit un paradoxe dans la relation que le médium entretient avec le dehors, mêlant l’impossible au possible, l’échec à la tentative, etc.
L’extériorité confronte également la photographie à un dépassement. Elle pousse le médium à la fois à sortir d’un rapport ontologique à son objet et à se détourner de l’unique question « que photographier ? ». Alors, l’extériorité plonge la photographie dans une dimension métaphysique, c’est-à‑dire dans un dépassement de son objet. C’est la raison pour laquelle le « que photographier ? » pourrait laisser place au « comment ? » et c’est aussi pourquoi la prise photographique s’efface au bénéfice d’un faire photographique. Finalement, l’extériorité conduit à appréhender la photographie comme un principe d’action, c’est-à-dire une photographie ouverte au surgissement de la nouveauté, et au mystère de l’autre. Ainsi, à la différence d’une photographie en tension entre deux termes et poursuivant un objectif, l’extériorité ouvre la photographie à une dimension productive.
Gilles Picarel, La photographie au risque de l’extériorité. Une épreuve de l’autre, Paris, L’Harmattan, coll. Eidos, 2021
