Pliable n°3

Pliable n° 3 est une collaboration
avec Quentin Yvelin. Il présente
Le souffle court et les larmes se taisent,
série qui à partir d’une expérience de Pneumothorax, met en œuvre une photographie entre tensions et relâchemements, à la recherche d’un souffle.

Sortie /
Mai 2022

Distribution /
Maison européenne de la photographie
Jeu de Paume

Produit en 200 exemplaires, il est imprimé sur un papier Century Soho Vellum 120 g, plié à la main et accompagné d’un tirage lambda.

De l’existence, la photographie est absente. Et, en se tenant à la limite, elle semble plonger dans sa pâte et se nourrir de son épaisseur. L’existence exige l’expérience du seuil. Entre un déjà plus là et un non encore advenu, l’existence est toujours fuyante. C’est au seuil d’un toujours hors de, d’un horizon brumeux et indéterminé que la photographie éprouve l’existence dans sa plénitude. C’est en travaillant la limite, en se tenant entre, que l’existence se révèle et adhère à l’image, en fragilité, en affleurement, c’est-à-dire dans la minceur évanescente d’un gouffre sans fond. Dans ce peu qui apparait, à la surface de la chute vertigineuse et insondable, il est toujours question d’un reste, d’un peu qui reste, d’un rien et d’un vide qui accèdent à l’infini, toujours en dépassement. Là, à la frontière mouvante entre effort et
résistance, en vibration, se forme la possibilité d’une photographie en rapport à l’exister.

La photographie doit alors affronter la lumière qui lui est si naturelle et pourtant si cruelle, car elle lui fait miroiter la possibilité de résumer la distance, de s’en affranchir et par la même de s’affranchir du monde. Illusion de toute-puissance. Sur ces rivages de clarté se tiennent des images faites par des géomètres, des images enfermées dans une clôture spatiale, des images du même — des images de soi. Sur ce territoire sans possibilité d’évasion, demeure une photographie sans extériorité, sans reste. En ce lieu la photographie existentielle se gorge d’images qui se parent de fausse noirceur pour crier qu’elles existent ou d’images qui ont besoin de sang pour se vêtir d’une artificielle épaisseur. Simple photographie en habit d’existence.

Loin de ces rivages, une autre photographie est possible.

Reste alors une tâche.

Celle d’ouvrir la photographie à ce qui l’excède, à la lumière débordante qui
irradie l’image, à l’impossible maîtrise — à l’impossibilité d’image. Dans cette trouée, dans ce scintillement de l’autre dans le même, la photographie tutoie l’existence qui n’est autre qu’un mouvement vers l’ailleurs et un détachement. Car, étonnamment, ce dépassement lumineux agit comme un tamis, il filtre la lumière sans saveur qui fait le familier et, ce faisant, il expose la photographie au radicalement autre. Pour la photographie, accueillir la possibilité de l’éblouissement, c’est accepter de défaire le regard de l’identification pour entrer dans l’éveil et dans l’exister.

Cet excès de lumière se niche dans la verticalité de l’arbre. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard, puisqu’il est conditionné par l’élan de l’arbre vers les hautes
lumières, les lumières à travers lesquelles Icare s’est brûlé les ailes et a chuté dans les eaux de la naissance.

Face à l’arbre, la photographie se fait alors temporelle. Elle verticalise le temps et le fait vibrer d’une intensité qui se joue entre la légèreté et la pesanteur, entre l’aérien et le souterrain, entre la vie et la mort. Elle donne une épaisseur et une consistance aux instants minces.

Dès lors, l’instant photographique touche à une éternité et dans cette union du temporel et de l’éternel, du fini et de l’infini, la photographie pourrait bien adhérer, quoique temporairement, à l’existence.

Reste ce peu qui reste, ce peu qui reste de nous, la création, l’instauration de l’œuvre — l’à-venir d’une existence.