Sondes
les églises, centre d’art contemporain, Chelles
du 12 octobre au 14 décembre 2014
En raccord avec une citerne d’eau qui surplombe l’abside, un fil à coudre tendu à plus de 10 mètres de haut, vient frôler la dalle avant de s’enfiler autour de la bobine au corps plastique jaune posé verticalement sur le sol. Des gouttes perlent depuis le haut sur cette courbe descendante et glissent le long du fil noir par groupe de trois, quatre, six ou plus, jusqu’à se rapprocher du sol. Là, à quelques centimètres de la dalle, elles se détachent du fil, choient à terre pour former une flaque qui grandit sous nos yeux, lentement à nos pieds. Le mouvement est continu, un peu irrégulier. Les gouttes évoluent précipitamment, par petit groupe. Comme respirant, le fil se tend et se détend à mesure qu’il déverse sa charge d’eau sur le sol qu’il ne touchera jamais. Séduit par une magie qui ne repose pas sur l’illusion, on reste ébahi et fasciné par la fragilité et la simplicité apparente du dispositif de Coulée douce (2006-2014).
En amont, un mur de 5 mètres, construit pour l’occasion, divise l’espace et obscurcit l’entrée pour permettre la projection grand-format du film Dénouement (2011). Là, au dessus d’une surface neigeuse, un fil tendu vient fendre symétriquement et verticalement l’étendue blanche. Il vibre d’un mouvement dont on ne connait pas tout de suite l’origine. Progressivement une forme humaine s’introduit dans le cadre par le haut de l’écran. Rembobinant le fil en pelote, elle s’approche de la caméra. La présence humaine envahit l’espace au fur et à mesure que disparait le fil. Le film se termine lors du rembobinage final, tout près de l’objectif, lorsque ne sont plus visibles en gros plan que les mains de l’opérateur manipulant le fil. Tout en semblant réduire un film à un simple rembobinage de fil, la video d’Ismaïl Bahri rend compte aussi de ces tensions à la fois stimulantes et angoissantes de l’extrêmement proche et du très lointain.
Côté pile du mur, nous sommes laissés avec la surface brute du ciment ciré. Dans un coin, un écran de petite dimension encastré dans le mur, diffuse en boucle un court film, Ligne (2011), qui pourrait être une image fixe. Elle présente en gros plan un avant-bras sous-tendu par une main. Dans un fil de netteté étroit, une goutte d’eau perle et luit sur la surface de la peau. Posée sur le dessin filaire d’une veine, elle bat au rythme régulier des pulsations du cœur. Paradoxe : son mouvement, sa forme et sa survie ne sont dus qu’à l’immobilité du corps vivant.
Centré sur une mise en tension de matériaux simples, le travail d’Ismaïl Bahri évoque tout à la fois les jeux d’Ernst en l’absence de sa mère que l’extrême ténuité des choses et la vulnérabilité des existences. En mettant en scène sobrement des phénomènes qui frôlent l’imperceptible, il nous rend attentif au minuscule, aux petites choses, aux instants fragiles, en même temps qu’il en révèle la force vitale. Les œuvres montrées aux Eglises de Chelles nous font pénétrer dans une dimension pré-culturelle, hors du langage, accessible à tous, dans une pleine sensation originaire du vivant ou dans l’épaisseur de l’expérience.
Mireille Besnard